Article La Provence du 17 avril 2023, par Romain Cantenot
La grande soif du tourisme appelée à la modération. La forte pression du secteur sur la ressource en eau, particulièrement en été, risque de ne pas être soutenable.
SERIE. Dans le Vaucluse, le Tourisme va devoir se réinventer pour économiser l'eau. "DEMAIN, VIVRE AVEC MOINS D'EAU EN VAUCLUSE" (4/6) La sécheresse exceptionnelle qui se prolonge depuis le printemps dernier va entraîner immanquablement des mesures de restrictions inédites par leur précocité et réveille le spectre lointain de la pénurie. Or, sous l'effet du dérèglement climatique, cette situation va devenir la norme des décennies à venir. Dans une série en six volets à paraître tous les lundis, "La Provence Vaucluse" analyse les conséquences profondes de ce nouveau régime climatique pour notre territoire et pose les enjeux du gigantesque "défi de l'eau" que doivent relever dès aujourd'hui ses habitantes et ses habitants.
Après des mois de sécheresse fin août dernier, le Syndicat mixte du bassin des Sorgues doit se résoudre à une mesure radicale : l'interdiction complète de la navigation et des activités aquatiques sur l'ensemble des sorgues, obligeant canoës, kayaks et touristes, à rester sur les berges. Huit mois plus tard, la sécheresse continue et il n'est pas exclu que cette mesure jusqu’ici exceptionnelle soit à nouveau prononcée l'été prochain. Un exemple qui préfigure bien l'impact potentiellement massif du changement climatique sur toutes les activités touristiques dans les décennies à venir.
Véritable poumon économique du territoire, le secteur pèse un milliard d'euros de chiffre d'affaires annuel et emploie plus de 16 000 personnes. Mais chacune des activités qu'il englobe appelle des besoins en eau : consommation courante, golfs, piscines, jardins, spas... Et s'il en faut pour les canoës, le Rhône aussi devra conserver des débits suffisants -- ils vont perdre 20% à la saison chaude à l'horizon 2050 -- pour permettre aux bateaux de croisière de continuer de circuler en été. Sans oublier l'accès aux espaces naturels de plus en plus restreint en raison des risques d'incendie.
L'avenir de toute la filière dépend donc de l'état de la ressource: alors que 4 millions de visiteurs qui viennent chaque année découvrir les merveilles du Vaucluse (23 millions de nuitées), l'explosion de la demande à la saison sèche sera-t-elle encore soutenable dans 20 à 30 ans, alors que toutes les études prévoient que les débits des cours d'eau et les niveaux des aquifères devraient être bien plus bas qu'aujourd'hui? Aucune donnée ne mentionne "l'empreinte eau" du tourisme à l'échelle du Vaucluse mais certains indicateurs permettent en revanche d'estimer la pression qu'il exerce sur la ressource. On sait par exemple qu'un touriste consomme 300 litres d'eau par jour -- le double d'un habitant -- et jusqu'à 880 litres dans les établissements de luxe comme on en trouve dans le sud du département.
Du côté des fournisseurs, l'effet est sensible. À Avignon, en haute saison, le volume journalier mis en distribution augmente de 12% par rapport à la normale (données 2022), soit des milliers de m3 supplémentaires prélevés dans la nappe de la Durance. Mais ce surcroît de consommation peut atteindre des proportions bien plus élevées dans les territoires à très forte concentration touristique.
À Gordes, un abonné consomme deux fois plus qu'à Cavaillon
C'est le cas de Sault, qui, avec 30% de résidences secondaires voit la consommation d'eau multipliée par 2,5 en août par rapport au mois de février. Une pression devenue insoutenable : à l'été 2022, le syndicat local n'a plus été en mesure d'approvisionner tous ses abonnés et s'est résolu à livrer des bouteilles d'eau à ceux dont les robinets étaient tombés à sec. La situation est moins critique mais tout aussi forte dans le sud du département. En juillet, le Syndicat des eaux Durance-Ventoux (SEDV) livre 41 000 m3 par jour contre 21 000 en février. Les abonnées des coins touristiques de la vallée du Luberon, qui ne sont pour beaucoup présents qu'une partie de l'année, consomment davantage (130 m3) que les ménages de Cavaillon (110m.). Le triste record revenant à Gordes où la consommation grimpe à 210 m3 par abonné. Sur le podium suivent Saumane et Beaumettes.
L'hostilité des locaux "C'est vrai que ça fait toujours frémir quand les nouveaux habitants commencent par construire une piscine", se désole Claude Lahro, le maire de Sault, soulagé qu'un projet de nouvelle canalisation depuis la Durance vienne bientôt mettre sa commune à l'abri du besoin. Déjà, cette situation génère des tensions entre habitants et investisseurs du secteur. À Cabrières d'Avignon comme à Lourmarin, deux projets d'hôtels de luxe sont dénoncés par des habitants qui pointent la pression trop forte que ces établissements vont faire peser sur les ressources en eau. "Avec la sécheresse, les nouvelles lois sur l'artificialisation des sols, construire des nouveaux hôtels semble aberrant. On ne peut pas accepter ça à un moment où on va demander aux gens de ne plus arroser leurs jardins", estime l'association Vivre à Lourmarin.
Un tourisme, plus sobre est-il possible? Déjà dans certaines régions, des hôtels mettent en place un "affichage environnemental" et installent des compteurs d'eau sur les douches. Mais les efforts devront aller plus en profondeur : meilleure gestion des flux sur les sites sous pression -- comme pour la vallée du Toulourenc -- et dans le temps en étirant davantage la saison touristique. "Le suivi d'indicateurs écoresponsables et des expériences écotouristiques ou liées à la gestion des flux sont à l'étude" répond Vaucluse Provence Attractivité. Cette démarche qui semble encore embryonnaire, suivra-t-elle le rythme des bouleversements environnementaux en cours ? Romain CANTENOT
LES REPÈRES
Chaque année, 55 millions de m3 d'eau sont prélevés dans la nature pour alimenter les réseaux d'eau potable vauclusiens. Une ressource destinée aux 560 000 personnes qui vivent à l'année dans le département, mais également aux quatre millions de touristes qui ne font qu'y passer. Selon l'UMIH, un client d'hôtel consomme en moyenne 300 litres d'eau par nuitée -- deux fois plus qu'un particulier à son domicile.
Le secteur touristique du Vaucluse représente 23 millions de nuitées qui font exploser la consommation d'eau à la saison estivale. Or, 54% de l'eau potable distribuée dans le département vient de la Durance et 32 % du Rhône dont les débits estivaux devraient diminuer respectivement de 20 et 30 % à l'horizon 2050. Le reste provient de sources locales ou de nappes phréatiques dont la capacité de recharge devrait décliner dans les prochaines décennies (de -10 à -25%) sous l'effet du dérèglement climatique.
Fin août 2022, pour la première fois, les balades en canoës et toutes les activités aquatiques prisées des touristes ont été interdites sur les sorgues de Fontaine de Vaucluse. Le débit y était descendu sous la barre des 4 m3 par seconde. ILLUSTRATION ANGE ESPOSITO